L'ATTACHEMENT ET LE DEUIL
Ce texte explique l’importance du lien d’attachement dans le processus de deuil ainsi que les sept étapes du processus de deuil selon l’approche Monbourquette.
L’attachement à une personne par amitié et par fusion Il existe deux formes majeures d’attachement à une personne: rattachement par amitié et rattachement par fusion. Cependant, pour bien les distinguer, il est important de connaître le sens de chacune de ces deux formes. L’attachement sous forme d’amitié L’attachement par amitié repose sur la base d’intérêts communs, de valeurs semblables, d’aspirations et d’une même vision du monde. Bref, c’est l’attachement de deux ou plusieurs individus autonomes qui se décident à former une union par liens d’amitié. L’attachement sous forme de fusion Par contre, l’attachement par fusion s’appuie sur des projections mutuelles. Les personnes qui s’attachent par fusion se complètent et vivent par dépendance mutuelle. Exemple : la fusion affective et passionnelle entre amoureux se réalise grâce à des projections de l’un sur l’autre. L’un et l’autre vivent en symbiose, c’est-à-dire à même les qualités découvertes chez l’autre. Ils trouvent leur épanouissement l’un dans l’autre et ils ont tendance à s’identifier l’un à l’autre et à avoir l’impression d’être «deux dans une seule chair». Certes, la mort ou la séparation de l’un d’eux représentera une grave perte pour l’autre. Celui qui a beaucoup investi son énergie en termes de temps, d’amour, de soucis, de rêves et d’espoir au point de vouloir lui ressembler est à même d’avoir le sentiment de vivre à travers son cher disparu. Il n’est pas étonnant que le survivant désire le suivre dans la mort. Par conséquent, il sera impossible de faire l’économie d’un deuil sans avoir à subir des effets néfastes comme l’isolement, l’ennui, la perte d’enthousiasme et, parfois, la dépression suivie d’un suicide. La perte d’une activité, d’un animal et d’un objet précieux Le deuil ne se limite pas à la perte d’une personne aimée. Lors de remue-ménage majeurs, il s’impose à toute personne qui s’est investie dans un emploi qu’elle aime bien, dans l’affection d’un animal de compagnie ou dans des choses précieuses à ses yeux. Cela prend tout son sens quand il y a, par exemple: la perte d’un emploi que l’on a occupé durant plusieurs années, la perte d’une activité sportive à cause d’un accident, l’abandon de son pays par un immigrant la mort d’un chien fidèle ou la disparition d’un objet précieux qui a acquis de l’importance pour soi. J’ai déjà traité des clients qui avaient perdu un chien, leur seul compagnon de jeu, une maison familiale, un bijou de famille qui symbolisait la lignée des ancêtres, etc. Le propre de l’être humain est de valoriser ses activités comme le travail et le sport, ses animaux de compagnie ainsi que d’autres objets qui ont pour soi des valeurs sentimentales. On attribue à tous ces êtres perdus des significations personnelles comme si on les avait «incorporés » à soi-même. La gravité du deuil Pour bien accompagner quelqu’un dans son deuil, le thérapeute aura à comprendre la nature du deuil qui affecte la personne pour pouvoir, par la suite, en évaluer la gravité. D’abord, il aura à bien cibler l’objet du deuil: qui ou quoi a-t-il perdu, à savoir un mari, un de ses proches, un emploi, un bras, un animal de compagnie, un objet tel un meuble ancien, etc. Ensuite, l’accompagnateur interrogera le deuilleur sur l’importance subjective qu’il accordait à ce qu’il a perdu. À cette fin, il peut se servir d’une ou l’autre des questions suivantes : • Que représentait pour toi l’être aimé? • Que lui as-tu sacrifié en l’aimant (en termes de temps, de soin d’énergie, de rêves, de projets, ...) • Quelle importance, lui as-tu accordé dans ta vie? À mesure que les réponses émergeront peu à peu à la conscience de l’endeuillé, elles lui permettront de mesurer jusqu’à quel point il s’était épris de l’être cher. Du même coup, il pourra se rendre compte de l’étendue de sa perte et du degré de gravité de son deuil. La perte de l’être aimé occasionne d’autres pertes. Elles paraissent moins importantes que celle de la personne elle-même. Mais j’ai été surpris de constater que des pertes dites secondaires avaient plus de poids que la perte de la personne ou de l’objet perdu. Voici le cas d’une femme qui avait perdu son conjoint. Du même coup, elle avait perdu les rôles que jouait son mari à savoir un confident un compagnon pour l’éducation des enfants, un pourvoyeur, un amoureux, un gérant d’affaires, un protecteur, etc. Toutes ces facettes de la relation sont aussi des facettes de son deuil. Or il arrive souvent, dans ce type de situation, que les pertes conséquentes revêtent pour la personne endeuillée une importance plus grande que la perte de la personne elle-même. Alors, j’ai demandé à ma cliente ce que son époux représentait pour elle. Elle me répondit entre deux sanglots : « Mon mari était toute ma sécurité et ma protection dans la vie ». Certes, cette femme pleurait un époux, mais elle perdait surtout un protecteur. La peine qu’elle éprouvait découlait surtout du fait de se voir maintenant seule, vulnérable et presque abandonnée. La gravité du deuil de quelqu’un à la suite de la mort d’un être cher Mes réflexions et mes observations sur le deuil m’ont permis de constater le phénomène suivant: La fusion ou l’identification avec l’être cher tend à se perpétuer après la mort de celui-ci. C’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer chez des endeuillés le désir de mourir de la même façon que l’être aimé. Sans en être toujours conscients, certains deuilleurs présentent des symptômes similaires à ceux de la maladie qui a emporté l’être cher. Il est courant de voir les endeuillés souffrir de faiblesse cardiaque, de cancer et d’emphysème sans être pourtant réellement malades. D’autres restent hantés par des idées suicidaires à la suite du suicide d’un proche; enfin, il y en a qui vivent dans la peur de mourir dans un accident de la route comme l’être cher disparu et ainsi de suite. C’est comme si les survivants se programmaient à subir une mort similaire à celle de l’être cher disparu. Une telle programmation se rencontre souvent chez les membres d’une même famille, en particulier chez les épouses. Certaines d’elles sont portées à se laisser mourir de la même maladie qui a fait mourir leur mari, comme si une fatalité s’acharnait sur elles. Le deuil semble donc, à première vue, réveiller l’instinct de mourir à la façon du défunt. « Faire son deuil », tout paradoxal que cela puisse paraître, consisterait-il donc à accepter de «mourir»? Oui, certes pas nécessairement d’une mort physique, mais bien d’une mort symbolique. Libéré de ses liens fusionnels avec la personne aimée, l’endeuillé sera amené à faire l’expérience de nouveaux liens avec le défunt sans pourtant l’oublier. La douleur occasionnée par l’absence de la personne aimée disparaîtra et l’endeuillé se sentira habité d’une nouvelle présence du cher défunt, présence mystérieuse, subtile et spirituelle, mais non moins réelle que la présence physique. Les 7 étapes du deuil Avant d’aborder l’étude de ces étapes du deuil, une mise au point s’impose. Disons que chaque personne vit son deuil à sa manière. Il n’y a pas une façon idéale ou déterminée pour résoudre un deuil. Par ailleurs, les spécialistes du deuil ont discerné, dans la résolution d’un deuil, des moments communs à tous les endeuillés qu’on peut appeler « étapes » au sens large du terme. Ces étapes serviront d’indicateurs permettant d’évaluer l’évolution d’un deuil normal ou de détecter les retards et les blocages d’un deuil pathologique. Mon expérience auprès des endeuillés m’a amené à répartir l’évolution du deuil sur sept étapes, à savoir le choc, le déni, l’expression des émotions, la prise en charge des tâches reliées au deuil, la recherche d’un sens, l’échange mutuel des pardons et enfin, l’héritage. Voici une brève description de ces étapes. 1 . Le choc Le choc survient souvent dès qu’on apprend la nouvelle d’une maladie grave ou le décès d’un être cher. On se sent alors consterné et impuissant à décrire ce qui se passe en soi. On a de la peine à entendre et à réaliser ce qui est arrivé. On ne parvient pas à y croire «C’est un vrai cauchemar! », «Ça ne se peut pas! », « Hier encore, il paraissait si bien », etc. L’état de choc s’accompagne souvent d’hallucinations. On s’imagine voir le défunt, l’entendre ou même sentir sa présence. Si le choc dure quelques semaines, il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure, mais s’il se prolonge, le deuil prend des dimensions pathologiques. Voici un cas qui illustre bien mon propos : une épouse en deuil de son mari a révélé au groupe des endeuillés qu’à tous les soirs depuis deux ans, elle et son époux faisaient une promenade la main dans la main. Pendant quelques semaines à la suite du décès, les deuilleurs se sentent engourdis et léthargiques. Ce qui ne les empêche pas de se montrer au-dessus de leur deuil devant les visiteurs au salon funéraire. Ils ne pleurent pas. Ils vivent, pour ainsi dire, sur un nuage. Ils manquent cependant de concentration et leur mémoire s’en trouve gelée. Ils commencent à ressentir une lourde fatigue qui rend les tâches quotidiennes pénibles à exécuter. Ils régressent souvent à un état de dépendance semblable à celui de l’enfance. Pas étonnant que les amis leur offrent de les aider à tenir le coup en leur rendant des services tels que leur préparer de la nourriture et faire des tâches domestiques pour eux. L’état de choc n’a pas seulement des effets négatifs. De fait il donne aux endeuillés le temps de digérer la dure réalité et de se ressaisir en puisant en eux les ressources nécessaires pour gérer la situation de perte de l’être cher. 2. Le déni Peu après le choc commence la phase du déni ou de la dénégation. Le déni relève soit de l’ordre de la connaissance, soit de l’ordre de l’affectivité ou des deux à la fois. La dénégation sur le plan cognitif pousse à oublier l’événement malheureux et à éviter tout ce qui peut lui rappeler la perte, telle que la référence à l’hôpital, au cimetière, au salon funéraire, etc. Certains deuilleurs tapissent leurs murs de photos du défunt de peur de l’oublier; d’autres gardent intacts sa chambre et ses objets personnels comme s’il vivait encore. Dans le jargon psychologique, on appelle cette conduite « momification » Sur le plan affectif, le déni engendre chez l‘endeuillé, surtout chez les hommes, une incapacité à vivre et à exprimer ses émotions. Il combat la montée de ses émotions en utilisant diverses tactiques : il se tient si occupé qu’il devient hyperactif; il se met à chercher un ou des responsables du décès; il idéalise le défunt il essaie d’imiter la maladie du cher défunt ou encore il cherche à trouver une personne-substitut souvent parmi les membres de sa propre famille pour qu’elle prenne la place du défunt. Parfois, l’endeuillé sera tenté de noyer son deuil ou de geler sa peine dans la boisson, les médicaments ou la drogue. D’autres fois, il se complaira dans des fantasmes de faire réapparaître l’être disparu. Tous ces stratagèmes le soulageront de sa peine de courts instants jusqu’à ce que la dure réalité de la mort le rattrape et l’accable de nouveau. 3. La ronde des émotions Quand les résistances au deuil se mettent à céder, la personne endeuillée se sent submergée par un flot d’émotions et de sentiments divers, tels que l’angoisse, la tristesse, la sensation d’avoir été abandonnée, la colère, la culpabilité et la libération. Ces états d’âme viennent en soi, se retirent puis reviennent comme le flux et le reflux de vagues tout en perdant de leur intensité à chaque venue. L’angoisse Au moment où l’endeuillé apprend la mauvaise nouvelle, il se sent envahi par l’angoisse. La réalité de la mort d’un proche lui rappelle sa propre mort qui approche. Il se sent alors désarmé devant son imminence. Il a l’impression d’avoir perdu la maîtrise de sa vie en perdant son être cher. Il prend conscience de ses limites humaines. Il se sent impuissant à changer le cours des choses. Cet état angoissant disparaîtra à condition qu’il accepte ses limites et prenne conscience de son incapacité à sauver l’être aimé. La tristesse La tristesse est l’émotion typique du deuil. Elle est la douleur d’un coeur auquel on aurait arraché l’objet de son amour. Le mot « peine» qu’on utilise souvent pour désigner la tristesse connote très souvent le sentiment d’être puni ou de subir un châtiment. La tristesse s’exprime normalement par des pleurs. Elle se fait parfois si intense qu’elle plonge l’endeuillé dans un état de désolation au point de désirer mourir pour aller rejoindre dans la mort l’être aimé. La colère La colère sourde dans le deuil prend souvent la forme plus ou moins consciente d’une protestation contre le défunt à qui l’endeuillé reproche de l’avoir abandonné. Rares sont ceux qui osent laisser libre cours à leur colère. Une cliente me disait « Comment peut-on se fâcher contre un mort? » Souvent, la colère se déplacera sur les autres. L’endeuillé en colère s’efforcera de trouver un ou des coupables de cette tragédie personnelle. Il s’en prendra aux soignants ou aux proches; il les blâmera de ne pas avoir prodigué au moribond tous les soins nécessaires. Pour d’autres, leur colère se retournera contre eux-mêmes; ils seront submergés par un sentiment de culpabilité. La culpabilité Le sentiment de culpabilité qui afflige l’endeuillé ne revêt pas toujours un caractère indésirable car toute séparation ou tout deuil engendre un sentiment de saine culpabilité. Ainsi, la séparation d’un conjoint bien-aimé, par exemple, fait souvent naître, chez l’autre, une conscience plus vive de ses manques d’amour. L’endeuillé se sentant coupable, se posera des questions comme celles-ci « Lui ai-je assez parlé? Lui ai-je assez dit que je l‘aimais? Ai-je tout fait pour le sauver de la mort ? » Il y a sans doute quelque chose d’excessif dans les reproches qu’il se fait. La manière d’atténuer lta crise de culpabilité, chez le survivant, est de reconnaître ses limites devant la mort ainsi que son incapacité d’aimer d’un amour parfait en tout point. La sensation d’être libre Beaucoup d’endeuillés n’osent pas éprouver ce sentiment de libération après la mort de l’être cher. Ils s’en voudraient de laisser croire aux proches et aux amis qu’ils voulaient se débarrasser d’un être encombrant. Prenons l’exemple d’un grand malade que l’on a gardé jour et nuit. Les soignants épuisés ne ressentent-ils pas une vraie délivrance au moment de la mort du moribond? D’ailleurs, entretenir les liens d’intimité demeure toujours une chose difficile et engageante. N’est-il pas normal et sain pour les intimes de ressentir un sentiment de libération à la mort lente et éprouvante d’un être, si cher soit- il? Plusieurs ne comprennent pas qu’on puisse être habité à la fois de nombreux sentiments contradictoires tristesse et libération, amour et haine, peur et désir d’intimité, etc. La grande « braille» L’expression des émotions tire à sa fin au moment de la « grande braille » qui s’avère un tournant dans la résolution du deuil. À ce stade, la personne en deuil acquiert une vive et pleine conscience de la perte définitive de l’être aimé. Elle laisse s’envoler le dernier espoir de son retour. Elle réalise que l’aimé est bien parti et qu’elle ne le reverra plus. Sa tristesse se change alors en « lamentations». J’appelle « la grande braille » le moment précis de la conscience de la perte. Il se reconnaît à l’intensité de la douleur transformant les pleurs en lamentations. Puis, à la suite de cette éclatante décharge émotive, l‘endeuillé éprouve une profonde paix souvent accompagnée d’expériences-sommet il se sent soutenu par des êtres spirituels ou il se voit baigné dans un flot de lumière réconfortante. C’est alors qu’advient, chez lui, en même temps, la pleine conscience de la gravité de sa perte et l’acceptation du départ irrévocable de la personne aimée. La difficulté principale que les thérapeutes éprouvent lors du traitement des émotions, c’est que beaucoup de deuilleurs ne possèdent pas un large répertoire d’émotions et de sentiments pour s’exprimer. Ils ont des émotions «trafiquées », c’est-à-dire qu’ils ont des émotions de surface qui cachent leurs réelles émotions. Parfois, c’est de la tristesse qu’ils manifestent alors qu’en dessous, c’est de la colère qu’ils couvent; ou bien ils manifestent de la colère, mais au fond ils vivent de la tristesse. Voici des exemples d’émotions et de sentiments « trafiqués» des rires nerveux pour de l’angoisse; le sentiment de culpabilité pour le sentiment de libération; des plaintes pour de la colère; de la joie pour des regrets, et ainsi de suite. Les endeuillés ont recours à ce stratagème parce que leurs parents leur ont interdit d’exprimer certains sentiments et émotions. Une telle défense grippe le déroutement normal des émotions et des sentiments. 4. La prise en charge des tâches reliées au deuil Une fois que le travail émotionnel du deuil aura bien progressé, il restera à accomplir des tâches concrètes conséquentes au deuil. Quelles sont-elles? Il s’agira de réaliser les promesses faites au défunt; exécuter les rituels funéraires prescrits par la coutume; ranger les photos du défunt dans un album; se défaire de ses vêtements et de ses objets personnels; garder un ou deux souvenirs en mémoire du disparu, etc. Ces gestes en apparence insignifiants contribueront beaucoup à accélérer Le travail du deuil. Car, en les posant, l’endeuillé démontrera â lui-même et aux proches qu’il est bien engagé dans l’acceptation de la mort de l’être cher. 5. La découverte du sens de sa perte L’expression des sentiments et des émotions et l’exécution des tâches concrètes conséquentes au deuil permettent à l’endeuillé de prendre peu à peu ses distances vis-à-vis du décès. Le deuilleur n’est plus tout absorbé dans le monde de ses émotions; il aura commencé à mettre sa perte en perspective. Le temps sera venu pour lui de se demander quel sens pourra prendre sa perte affective et comment il poursuivra sa vie à l’avenir. Au lieu de rester dans un état d’âme de désolation, il en profitera pour mieux se connaître et pour puiser dans ses ressources personnelles. Il exploitera davantage ses forces en l’absence de l’être aimé. Enfin, il en viendra à reconnaître qu’à la suite de son malheur, il aura mûri et aura trouvé de nouveaux sens dans sa vie. Alors, le temps est venu de réfléchir sur le sens spirituel de son existence et de sa perte en se posant les questions suivantes
Qu’est-ce que j’ai appris sur ma vie en l’absence de l’être cher?
Quel sens prendra ma vie après la mort de la personne aimée?
Y a-t-il une vie après la mort? On se posera alors la question de l’au-delà : soit la résurrection, soit la réincarnation ou soit le néant.
Après ma mort, existe-t-il un ciel ou un lieu de rencontre permettant de revoir tous les parents et les proches disparus?
Pourquoi un Dieu si bon est-il venu chercher mon fils? La colère contre un dieu sadique ne serait-elle pas de mise?
La résurrection des corps aura-t-elle lieu immédiatement après la mort ou seulement à la fin des temps?, etc.
Beaucoup de psychologues et thérapeutes du deuil laissent tomber ce questionnement sur le sens, croyant faussement que le deuil se termine à la fin de l’étape des émotions. Le cas suivant pourrait les convaincre du contraire. J’avais une cliente, une femme qui avait perdu son bébé de huit mois. Elle était inconsolable et pleurait à en faire pitié. Après lui avoir fait raconter l’histoire de la mort de son bébé plusieurs fois, en désespoir de cause, je lui ai demandé « Est-ce que la mort de ton bébé a pris, prend ou prendra un sens pour toi? » Elle me répondit: «Tu veux mettre Dieu dans ma détresse? Moi, je ne suis pas croyante. » Je lui ai fait la remarque suivante « C’est toi qui as commencé à parler de Dieu, pas moi ». À la session suivante, elle me dit qu’elle avait réfléchi à la question stupide que je lui avais posée à la dernière rencontre. Et voici sa réponse : «J’ai une grande amie qui est décédée l’an passé. Or son grand désappointement dans la vie était qu’elle n’avait pas eu d’enfant. Elle est sûrement au ciel mais seule. Je voudrais lui confier mon bébé pour qu’elle en prenne soin. Quant à moi, étant assurée de son amour pour les enfants, je ne m’inquiéterai plus de mon enfant. Jusqu’à maintenant, je couchais avec ses cendres près de mon lit. Je suis prête à les faire enterrer au cimetière ». Sa réponse à ma question sur le sens de la mort de son enfant l’avait réconfortée au point qu’elle avait cessé de pleurer. 6. L’échange de pardons À l’expérience, j’ai pu constater la nécessité de pardonner pour achever le processus de deuil. L’endeuillé qui sera parvenu à accorder son pardon au défunt pour ses fautes et surtout pour son départ, se libérera des restes de la colère que le départ de l’être cher aura provoquée en lui. Par contre, en demandant pardon au défunt pour ses propres faiblesses et ses manques d’amour, l’endeuillé réduira d’autant l’intensité de son sentiment de culpabilité. L’échange de pardons qu’il effectuera avec son cher disparu lui apportera une grande paix. Grâce à la réconciliation, il se sentira en paix avec lui-même et se trouvera disposé à accueillir son héritage. 7. La prise de possession de son héritage L’héritage spirituel consiste à se réapproprier tout l’amour et les rêves dont l’être aimé aura été l’objet. Autrement dit l’héritage consiste à reprendre à son propre compte ce qu’il avait admiré et aimé chez l’autre au moment de l’amour-fusion. L’endeuillé a le pouvoir d’incorporer dans sa vie les qualités et les talents appréciés chez le cher disparu, à condition, bien entendu, d’avoir consenti à le laisser partir. En vue d’aider les endeuillés à recevoir leur héritage spirituel, j’ai conçu un rituel dont la description se trouve dans mon volume Aimer, perdre et grandir. À l’aide de ce rituel, il devient possible d’évaluer tous les apprentissages acquis en présence de l’être aimé et de s’autoriser à les actualiser pour soi. Grâce à l’héritage, on se trouvera gratifié et habité par une nouvelle forme de présence du cher disparu. Déclaration officielle de la fin du deuil Le rituel de l’héritage se termine d’ordinaire par la déclaration officielle de la fin du deuil. Dans le passé, on avait des signes distinctifs pour marquer révolution du deuil et pour signifier la fin de celui-ci. Dans la société actuelle, on ne sait plus trop à quel moment le deuil est terminé. Il y a nécessité que sa fin soit honorée d’une sanction sociale. J’ai pu observer l’immense soulagement qu’éprouvent les endeuillés à se faire dire par le meneur du groupe de deuil ou par une personne importante «Avec la prise de possession de votre héritage spirituel, considérez que votre deuil est bel et bien terminé». Voici ma vision du deuil, de son déroulement et de sa résolution. Pour terminer, permettez-moi de vous affirmer que le deuil n’a rien à voir avec une maladie chronique, comme d’aucuns le prétendent, mais c’est un passage obligé temporaire. Il ne dure qu’un temps, le temps de «faire son deuil». Exprimer son deuil Le deuil d’une personne proche est généralement un moment de vie intense. Nous devenons orphelins, veufs ou veuves. Nous perdons un ami d’enfance, une amie de toujours... À différents moments dans le processus du deuil, notre vie intérieure se transforme au rythme d’un tourbillon ou par des coups d’éperons ou par une succession d’agitation et d’accalmie, alternant de la sensation d’isolement à celle de l’union avec l’humanité. Nous vivons des émotions, des interrogations, des explications, des remises en question, des réflexions... Autour de nous, tout alimente la situation et nous fait réfléchir des conversations, des lectures, des films, des chansons, des photos, une marche dans la nature, etc. Choisir de s’exprimer permet de faire le point, de montrer ce que nous avons trouvé, de se libérer d’un poids, d’échanger avec les autres... Examinons comment nous pouvons parler avec nous-mêmes, avec notre entourage et notre communauté. Il y a différentes façons de parler avec soi-même. Certains entretiennent un dialogue intérieur que la méditation fait évoluer. Cette petite voix est très présente dans un moment aussi intense. Cette conversation intérieure apporte des réflexions que nous pouvons ensuite partager avec des personnes choisies, capables d’alimenter notre introspection. D’autres vont préférer l’écrit. Des mots et des fragments d’idées s’inscrivent sur du papier. Des phrases s’ajoutent sur une page réservée à cette fin dans un coin de l’ordinateur. Nous pouvons tenir un journal personnel où l’on note nos pensées, nos rêves, tout ce que l’on trouve important dans les circonstances. Cet aide-mémoire permet de voir notre monde intérieur évoluer. Progressivement, à partir de nos notes, nous pouvons commencer à écrire un texte, une poésie, un conte, un roman, un recueil de citations, une chanson, une pièce de théâtre ou choisir une autre forme littéraire qui exprime ce que nous avons trouvé en nous. Cette création restera personnelle ou sera partagée avec les proches ou deviendra une oeuvre distribuée à la communauté. Une démarche similaire peut se faire en dessin, en musique ou dans toute autre forme d’expression qui rejoint nos dispositions sculpture en bois, peinture, danse, montage multimédia, etc. Le but recherché est de s’exprimer et non de devenir un artiste professionnel! La démarche d’expression permet de trouver un sens personnel aux tribulations que nous avons vécues. Beaucoup de gens proches seront intéressés de savoir ce qu’un grand-père pense, ce qu’une mère traverse, ce qu’un enfant vit pendant son deuil. Ce sera souvent le début d’un dialogue très riche. Peut-être aussi que cette tentative d’expression n’aboutira pas. Peut- être qu’elle révélera un blocage, une trop forte douleur, une situation trop difficile à traverser. C’est le signe que nous avons besoin d’aide. Qui peut nous aider à compléter notre deuil? Une section sur ce site aborde cet important sujet : trouver de l’aide. Plusieurs moments du deuil et des tâches à faire lors d’un décès peuvent être autant d’occasions pour enrichir une démarche de réflexion et d’expression : le tri des photos, le choix de quelques souvenirs que l’on veut conserver, la dispersion des biens, la création d’un mot de remerciement, etc. Dans certaines circonstances, les proches voudront commémorer la vie de la personne décédée. Ce sera, par exemple, une messe annuelle suivie d’un repas. Ce sera l’organisation d’une nouvelle cérémonie. Ce sera la diffusion d’une production maison (livre, audiovisuel, dessins, photos, etc.) rappelant son histoire de vie. Ce sera de nommer un objet un lieu ou un événement en son nom. Ce sera la création d’un organisme de bienfaisance. Dans certaines cultures, les gens auront installé un autel consacré aux ancêtres dans un coin de la maison, dans d’autres ils se déplaceront au cimetière à une date précise pour honorer leurs morts. Il y a autant de possibilités de commémorer que l’imagination humaine peut en créer. De très nombreux artistes sont influencés par leur deuil et de nombreuses oeuvres témoignent de leurs réflexions à ce sujet. Certaines commémorations naissent d’une situation particulière. Je pense à la cérémonie annuelle qui réunit les familles endeuillées de Leucan, une association qui regroupe des enfants atteints d’un cancer et leur famille. Je me rappelle mon émotion lors de ma visite au mémorial installé à Grosse-Île qui commémore les événements tragiques vécus par les immigrants irlandais en ce lieu, principalement lors de l’épidémie de typhus de 1847. La commémoration repose également sur le rôle que joua l’île, de 1832 à 1937, à titre de station de quarantaine du port de Québec, longtemps le principal point d’arrivée des immigrants au Canada. Lorsque le sida a commencé ses ravages et que de nombreuses personnes, souvent jeunes, mouraient, une organisation a créé un mouvement pour commémorer toutes ces vies qui ont fini si abruptement. Les proches sont invités à coudre sur un morceau de tissu des éléments qui représentent la vie et les liens qu’ils ont eu avec la personne décédée. Plusieurs personnes ont ainsi l’occasion d’évoluer dans leur processus de deuil. Ces morceaux de tissu, qui sont tous de la même grandeur, sont reliés en grands ensembles et sont régulièrement exposés, prolongeant ainsi le souvenir des victimes de cette maladie Plusieurs oeuvres sont créées afin de perpétuer la mémoire des personnes décédées lors d’une tragédie. Des événements soulignent ce qui s’est passé le 6 décembre 1989 à l’École Polytechnique de Montréal, le 11 septembre 2001 au World Trade Center... D’autres rappellent les génocides, les guerres, les grandes catastrophes naturelles, etc. Participer à ces commémorations, par solidarité ou parce que nous sommes personnellement concernés, permet de continuer une démarche de réflexion sur des circonstances de décès où il est souvent très difficile de trouver un sens, où il peut y avoir une multiplicité de sens et où le sens évolue et change avec les années. D’autres démarches remontent dans le temps. Des cimetières qui sont près de nous jusqu’aux momies égyptiennes, des lieux sacrés amérindiens jusqu’aux morts trouvés dans des grottes préhistoriques, la sépulture nous ramène au début de l’humanité. Chacune de ces inscriptions dans la mémoire collective rappelle l’importance qu’ont eue nos lointains ancêtres et nos proches parents afin que nous puissions vivre ce Temps présent. Dans notre quotidien, dans notre imaginaire, dans notre vie, ils ont une place clairement identifiée et chaque fois que nous les honorons, nous préservons ce qui fait l’essence de notre condition humaine : notre Mémoire.